« Les propos de Monsieur Laurent ESSO à l’adresse des Avocats à l’occasion de leur grève tiennent plus d’un tenancier de débits de boisson du quartier de NKOL’OLOUN que d’un homme d’Etat responsable » Me Black YONDO
Lettre ouverte à Monsieur Laurent ESSO Ministre d’Etat en charge de la Justice Garde des Sceaux, By Me Black YONDO (*)
Les propos de Monsieur Laurent ESSO à l’adresse des Avocats à l’occasion de leur grève tiennent plus d’un tenancier de débits de boisson du quartier de NKOL’OLOUN que d’un homme d’Etat responsable, qui plus est, Ministre d’Etat chargé de la Justice, Garde des Sceaux d’un pays.
Qu’est-ce qu’un un Avocat dans un Etat de droit ? Un voyou ?
Un bandit des grands chemins ?
Cicéron fut homme d’Etat romain et auteur latin, doté d’un
art oratoire hors du commun.
Son contemporain Antoine disait de lui qu’il mourait de peur
avant chacune de ses prises de parole en public, le trac !
Même les meilleurs connaissent donc cette
angoisse.L’histoire de l’avocature a connu des hauts et des bas.
Et dites-le vous le bien, Monsieur le Ministre d’Etat, vous
n’êtes pas le premier à réserver un triste sort à ce grand corps d’élite, et
vous ne serez certainement pas le dernier, car le barreau sera toujours un
contrepouvoir face à un pouvoir exécutif dans sa soif absolue de vouloir tout
régenter; il va donc vous falloir faire avec.
Le Cameroun ayant choisi d’être un pays de défense libre, il
a le devoir, il faut vous le rappeler, non seulement de s’assurer une bonne
formation de ces hommes de la défenseque sont les Avocats, mais aussi d’assurer
en toutes circonstances leur protection.
En France, la première trace de la profession d’Avocat date
du règne de Charlemagne, dès
802. Mais, c’est véritablement au XIIIe siècle que naît la
profession : Philippe de Valois crée
le Tableau (matricule des Avocats), listant les individus
ayant le pouvoir de défendre à la Cour. A cette époque, quiconque portait la
main sur un Avocat était passible d’excommunication. Religion et droit étaient
donc des valeurs très liées, et la limite entre ces deux pouvoirs n’était pas
clairement définie.
Un peu de rappel historique édifiera sans doute le Garde des
Sceaux que vous êtes.
En 1344, le statut « d’Avocat » est enfin officialisé par le
parlement de Paris. Des hauts et des bas, avons-nous dit, cette profession
connaîtra. L’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 pose le principe, qui
perdurera jusqu’à la Révolution, selon lequel l’inculpé est privé de défenseur
lors de l’instruction et à l’audience. La torture devient la règle, et le
statut d’Avocat devient très limité. A croire que c’est ce stade que vous n’avez
pas encore dépassé !
La Révolution Française (1789) va bouleverser la situation
judiciaire. Le supplice est tout d’abord aboli, et la présence de l’avocat est
permise pendant l’instruction ainsi que la plaidoirie.
La Troisième République a souvent été surnommée la
République des avocats. C’est à ce moment-là que ces derniers apparaissent en
effet comme des acteurs majeurs de la vie publique : ils sont à l’Élysée, au
gouvernement, au parlement. Par ailleurs le barreau règne toujours dans les
prétoires, et les grands ténors bénéficient d’une célébrité qui n’a souvent rien
à envier à celle de leurs confrères de la scène politique.
Le CAPA est créé en 1941. Mais le gouvernement de Vichy
prend d’autres mesures à l’égard
du barreau, qui provoquent l’exclusion de plusieurs
centaines d’avocats juifs et d’origine étrangère, sans que l’Ordre proteste
publiquement. Ces années de guerre, qui voient le barreau divisé et déchiré,
sont incontestablement les plus sombres de l’histoire de la profession.
Vous voyez donc, Monsieur le Ministre d’Etat, la vie du
barreau n’a jamais été un long fleuve tranquille et vous ne nous surprenez pas
lorsque, confronté par le fait des avocats de suspendre le port de leur robe,
vous faites allusion à des procédures que les justiciables sont en droit
d’initier contre eux, et vous n‘y voyez que le chef d’abus de confiance, un
fait punissable par la loi pénale, parce que dans les rapports sociaux, vous ne
semblez connaître que l’aspect pénal des choses qui relève exclusivement de
juridictions répressives. C’est sous ce prisme de la répression systématique
que votre gouvernement a toujours entendu apporter solution aux problèmes
multidimensionnels qui lui sont posés.
Ainsi, avez-vous toujours induit le Chef de l’Etat en erreur,
lui faisant croire que tous ceux qui en appellent à son arbitrage, ne sont mus
que par un appétit du pouvoir, portant atteinte à sa dignité, manifestant
par-là une hostilité à l’Etat et un appel à la rébellion, et l’invitant à ne
faire recours qu’à l’usage de la force, le plus souvent disproportionné, et
sans rapport avec les risques encourus.
Voyez-vous, Monsieur le Ministre d’Etat, l’Avocat est lié à
son Client par un contrat qui l‘expose à une action personnelle en
dommages-intérêts qui relève du juge civil en cas d’inexécution de son
obligation, encore faut-il que soit établie en preuve la faute sur laquelle
reposerait une telle action.
Lorsque vous vous étonnez à l’idée que les Avocats ne savent
pas ce que signifie le mot ‘’grève’’, cherchant à les rendre ridicules, vous
cherchez, toute honte bue, à éviter de vous interroger sur les véritables
problèmes posés, une fuite en avant donc. C’est tout simplement puéril, j’ai
envie de dire, infantile.
Il n’échappe à tout observateur de bonne foi qu’il se pose
au Cameroun depuis ce qu’il est convenu d’appeler ’’la crise anglophone’’, et
les résultats de la dernière élection présidentielle, un problème de violation
des libertés et des droits fondamentaux, un problème de violation des droits de
la défense, un problème d’habeas corpus , que sais-je encore ?
Que les Avocats en viennent enfin, j’ai envie de dire, il
était temps, à protester face à cet état de choses qui constitue une véritable
atteinte aux droits des justiciables, cela mérite-t-il une réaction de si bas
étage de la part d’un Ministre d’Etat en charge de la justice du pays ?
Il est vrai que nous sommes d’un pays où un Ministre des
affaires étrangères a été limogé pour faute lourde, limogeage s’apparentant au
regard du code du travail à un licenciement.
Quel sort serait réservé à une action initiée par ce
Ministre devant une juridiction, fut-elle prud’homale, pour licenciement
abusif. C’est une ‘’camerounité’’ de plus , vous me direz : le Cameroun, c’est
le Cameroun !
De la mesure avant toute chose, dira le vieux sage du pays.
Oui, Monsieur le Ministred’Etat, il faut savoir raison garder. Dire que malgré
le mot d’ordre de grève, rien n’a été paralysé en justice, que vous avez fait
faire le tour des palais de justice, tout vous a semblé normal, vous tombez,
Monsieur le Ministre dans le panneau ; en effet, vous semblez ignorer qu’en
matière criminelle, pour ne parler que de ce cas, aucun jugement ne saurait
intervenir si les accusés ne sont assistés de leurs conseils (Avocats), et dire
que vous ferez passer outre cela, vous accentuez la violation des droits de la
défense qui est reprochée au système, auquel il est également reproché de
n’avoir aucun égard, envers la Constitution, la loi fondamentale du pays, ni
envers les conventions et traités internationaux que le Cameroun a librement
signés.
Ne poussons pas plus loin le bouchon au risque de nous
exposer à la risée du monde.
Qui ne se souvient en 2018 en France des mots d’ordre
:’’journée justice morte’’, Pourquoi les Avocats sont-ils en grève ?’’,’’ les
Avocats sur le front’’ etc.
Jamais le Ministre de la justice en France n’est descendu à
ce bas niveau d’explication et n’a
parlé du rapport d’employeur et employés, s’agissant de la
grève des Avocats.
Il est vrai, Monsieur le Ministre, que la France est loin
d’être une référence pour vous. Qui ne se souvient de ce jour où vous vous en
êtes pris à leur article 49.3 pour montrer combien, selon vous, ce pays était
englué dans le déni de démocratie. C’est du Laurent ESSO tel qu’en lui-même,
méprisant à souhait, imbu de lui-même, devenu subitement leader d’une région
par la volonté d’un homme et la force du décret.
Il serait peut-être temps de vous faire savoir que vos
parades le temps d’une escapade à Douala
irritent plus d’un, flanqué d’une escouade de de nos forces
de défense et de sécurité. Vous avez
poussé l’indécence récemment en faisant quadriller votre
village d’hommes cagoulés et d’autres forces spéciales lors des obsèques de
votre frère, sujet brillant et ô combien discret. S’agissait-il d’hommages de
la nation à titre posthume ? Il faudrait en douter, et l’on sait que c’est pour
vous
une manière d’exister et d’essayer de troquer cette image de
boxeur sur le retour contrarié qui vous colle à la peau.
Voici, en fait, Monsieur le Ministre d’Etat, vos propos en
son temps«J’ai entendu parler de la grève des Avocats… ça me paraît simplement
étonnant que des Avocats soient des juristes mais ne savent pas ce que c’est
qu’une grève…. Une grève s’adresse à son patron. Le tribunal n’est pas le
patron de l’Avocat. L’Avocat a comme patron le client qui a payé et qui attend
un service; donc, que si l’Avocat ne va pas à l’audience, il ne peut pas dire
qu’il est en grève, cela ne concerne pas le fonctionnement de l’Etat, Cela
concerne le client et l’Avocat et le client est en droit d’engager une
poursuite contre cet Avocat pour abus de confiance,, il a pris de l’argent, il
n’a pas rempli sa mission…Tous ceux qui ont parlé de la grève des Avocats ont
utilisé un terme inapproprié. Pour nous, il n’y a pas de grève des Avocats, il
y a un abus de confiance entre un client qui a payé et un Avocat qui n’a pas
rempli sa mission… Certains Avocats ont prétendu qu’on avait pris leurs robes,
Bon… ils ont reproché au Ministre de la Justice de ne les avoir pas protégés…
Encore une fois, je pensais avoir affaire à des juristes, l’immunité d’un
Avocat c’est à la salle d’audience, ce n’est pas dans la voie publique. Le
Procureur et le Président du tribunal connaissent un Avocat dans la salle
d’audience, s’il sort de la salle d’audience pour aller profaner dans des
salons ou traîner dans la rue comme un voyou, là il a affaire au sous-préfet,
au Commissaire de police, au commandant de brigade…»
Des propos intolérables, désobligeants, malséants, Monsieur
le Ministre d’Etat, tous, tout de mépris. A se demander quelle idée vous vous
faites de la justice !
En réalité de quoi s’agit-il dans le mot d’ordre de la
grève?
De l’accaparement des dossiers par certains chefs de
juridiction, créant ainsi un engorgement artificiel à l’origine des lenteurs
judiciaires inacceptables, des interpellations et des détentions arbitraires
dans l’exercice de leur ministère au sein de certaines unités de gendarmerie et
de police, des violences physiques perpétrées sur les Avocats par des éléments
de la force de l’ordre,…
Un problème politique est posé et le Ministre camerounais,
après avoir savamment organisé un cadre où les applaudissements vont gratifier
ses propos avant même qu’il n’ait pris la parole, s’amuse à pousser les
justiciables dans la rue pour poursuivre leurs avocats pour n’avoir pas défendu
leur cause après avoir pourtant encaissé des honoraires. Honoraires, ça y est,
le mot est lâché. Ce matérialisme dépeint à suffire pourquoi le Cameroun
n’arrête pas de se chercher. Décidément, Il nous faut des responsables d’Etat
compétents et non des ‘’charlots’’.
Quand, après avoir occupé l’essentiel des ministères de
souveraineté du pays, en passant par la direction du Cabinet civil du Président
de la République et le Secrétariat général de cette Présidence, vous repassez
pour une deuxième fois au ministère de la Justice, vous n’en êtes qu’à
solliciter des chefs de Cours et de Juridictions des propositions en solutions
du problème de nos prisons, là où vos collègues des pays pourtant moins lotis
que le Cameroun ont en un tour de main apporté solution, désengorgeant les
prisons du trop-plein. Sous le ciel du pays des grandes opportunités, depuis
les émeutes de KONDENGUI, il faut croirequ’aucune opportunité sérieuse n’est
officiellement perçue, propre à permettre de répondre aux griefs soulevés. Rien
d’étonnant. C’est la faute à Maurice KAMTO. Décidément, celui-là fourre son nez
partout. Il pleut, c’est Maurice KAMTO. Il fait chaud, c’est Maurice KAMTO.
Délestage, c’est lui. Coupure d’eau, c’est encore lui… Bye
bye la CAN et c’est toujours
KAMTO !!! Qui veut noyer son chien l’accuse de rage.
Avons-nous le droit dans ces conditions de bien augurer de l’avenir ? A notre
avis, il n’y a plus d’espoir.
Téméraire mais pas courageux. Après avoir mis le feu, vous
envoyez au charbon le pompier
de service, votre jeune collègue Me MOMO pour colmater les
brèches. Oui, téméraire mais
pas courageux !
Mais voyez-vous, Monsieur le Ministre d’Etat, les hommes
passent, mais le pays leur survit
et demeure. Demain, devant le jugement de l’histoire, nous
aurons chacun à rendre compte de nos actes. Mon souhait pour vous est qu’aux
portes du paradis votre avocat, même
désigné d’office, ne suspende pas sa robe…
Vive le Cameroun ! Notre cher et beau pays.
(*) Avocat au Barreau du Cameroun
Ancien Bâtonnier de l’ordre
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