Au Cameroun, la région de l’Ouest sur le qui-vive face aux partisans de l’Ambazonie
Le conflit au Cameroun
anglophone (5/5). Frontalière de la zone revendiquée par les séparatistes,
cette partie francophone du pays subit de nombreuses attaques.
Par Josiane Kouagheu
Ils
ont changé le lieu du rendez-vous à trois reprises. Finalement ils sont là,
assis sur des tabourets en bambou, dans le salon d’une maison en terre battue
entourée de champs d’arachides et de maïs.
Les trois hommes, la vingtaine, viennent de Lébialem, dans le Sud-Ouest, une des deux régions anglophones du Cameroun avec le Nord-Ouest. Ils racontent avoir « combattu les militaires, kidnappé les ennemis ». Ont-ils tué ? Ils éludent la question à plusieurs reprises : « Il y a des morts des deux côtés, nous nous battons pour l’indépendance de l’Ambazonie », cet Etat imaginaire que les séparatistes veulent voir naître.
Episode
1 Au Cameroun, le calvaire des déplacés des régions anglophones
Aris,
John et Seh (les prénoms qu’ils donnent) sont venus « se reposer » dans ce
village de la région francophone de l’Ouest. Depuis deux ans, la crise qui
secoue le Cameroun anglophone s’est transformée en conflit armé. Les combats
entre les forces de défense et de sécurité camerounaises et les séparatistes
ont poussé 530 000 personnes à fuir pour se réfugier dans les forêts
environnantes et les régions francophones, selon l’ONU.
Les
régions du Cameroun. Wikimedia Commons
L’Ouest,
frontalier des régions anglophones, accueille plus de 65 000 déplacés. Parmi
ceux-ci se trouvent des sympathisants de la cause ambazonienne, des anciens
combattants en fuite, mais aussi des séparatistes armés toujours actifs. C’est
le cas des trois jeunes hommes, qui assurent avoir quitté la ligne de front «
pour quelques jours » après de violents combats.
« On
va repartir. On le fait tout le temps. Ici, personne ne nous soupçonne. On
passe par la brousse et on arrive. On reprend des forces », confie John, 22
ans. Le plus jeune des trois explique que « beaucoup de frères sont dans les
forêts francophones ». Il sort son smartphone à l’écran fissuré et fait défiler
des dizaines de photos. Ici, on le voit tenant une arme, le regard dur. Là, il
est accompagné de plusieurs autres combattants, en pleine forêt.
Pourtant,
l’Ouest subit régulièrement des incursions attribuées aux séparatistes. Depuis
le début de la crise, des villages, des établissements scolaires, des centres
de santé, des marchés de cette région ont été attaqués, détruits ou incendiés.
Des habitants ont été kidnappés et certains tués. Plusieurs villages
francophones frontaliers se sont vidés, gonflant le rang des déplacés et
augmentant les besoins humanitaires. Face à cette situation, les autorités
locales ont interdit ou restreint, selon les localités, la circulation des
motos-taxis, moyen de transport privilégié des groupes armés. La sécurité a
également été renforcée.
Selon
Joseph Léa Ngoula, analyste politique et expert sécuritaire à la tête du
cabinet Orin Consulting Group, les attaques enregistrées dans l’Ouest sont
souvent le fait de bandes armées qui profitent du chaos pour s’approvisionner à
travers la contrebande, les rackets, les enlèvements, le grand banditisme et le
pillage. Cependant, note-t-il, lorsque les séparatistes attaquent les localités
francophones, ils le font généralement « en représailles contre certaines
communautés perçues comme alliées des forces gouvernementales ou hostiles
vis-à-vis des déplacés anglophones ». Selon lui, les sécessionnistes voient l’Ouest
comme une base de repli et une zone d’approvisionnement.
Ernest
Folefack, professeur de droit à l’université de Dschang et président de
l’association Fountain of Justice Cameroon, ne cache pas son inquiétude. Il
constate, de plus en plus, « une radicalisation » des déplacés qui peinent à
manger, à se loger et à envoyer leurs enfants à l’école. « La situation
humanitaire se détériore, déplore-t-il. En l’absence d’aide suffisante, les
déplacés sont de plus en plus amers. Ils plongent dans un monde irréel,
l’Ambazonie, où tous leurs problèmes seront résolus. »
La
colère est telle que les détenus anglophones des prisons de Kondengui, à
Yaoundé, et de Buea, dans le Sud-Ouest, ont organisé des mutineries pour
protester contre leurs conditions d’emprisonnement, les lenteurs judiciaires et
exiger leur libération. A Yaoundé, 244 détenus ont été « interpellés » pour
être interrogés hors de la prison, dont Mamadou Mota, vice-président du
Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), l’un des principaux partis
d’opposition. Ils sont accusés de « rébellion », « vol en co-action » et «
tentative d’évasion ».
Christopher
Ndong, le secrétaire général du MRC, assure que « tout le monde » connaît les
conditions de détention « inhumaines », la maltraitance des détenus, la
surpopulation carcérale, l’interdiction pour certains de voir un médecin, leur
avocat ou, parfois, des membres de leur famille. « Nos militants n’étaient en
complicité avec personne, martèle-t-il. Bientôt, le pouvoir dira que c’est le
MRC qui est derrière la crise anglophone, alors que nous avons été les premiers
à reconnaître qu’il y avait un problème et à donner des solutions. »
Au
siège de son association, Ernest Folefack reçoit constamment les déplacés. Pour
lui, il faut « urgemment mettre fin à la crise », car les combats en zone
anglophone, les incursions dans l’Ouest et la colère grandissante des déplacés
font craindre le pire. « Si rien n’est fait, ils vont créer un monstre »,
avertit-il.
Au
Cameroun, depuis bientôt deux ans, une guerre a éclaté loin des regards
extérieurs. Tenues à l’écart des médias, les deux régions anglophones du
Nord-Ouest et Sud-Ouest ont basculé dans un conflit d’où n’émergent sur les
réseaux sociaux que quelques rares et horribles images d’exactions. Entre les
groupes armés qui combattent pour l’indépendance de ces deux régions et les
forces armées camerounaises, les civils paient le prix fort. D’après les
Nations unies, 4 millions de personnes sont affectées par le conflit. Plus d’un
demi-million de personnes ont été déplacées, près de 2 000 tuées. Les enlèvements
sont devenus un commerce en pleine expansion alors que l’économie de la région
s’effondre. Notre reporter Josiane Kouagheu est allée donner la parole aux
acteurs et aux victimes de ce drame.
Josiane Kouagheu (Dschang et Bafoussam, Cameroun, envoyée spéciale)
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