Cameroun : comment la Suisse a poussé le président Paul Biya vers la sortie
Las des
manifestations et incidents à répétition provoqués par la présence du président
camerounais à Genève, la Confédération l'a encouragé à quitter le pays. Par
notre correspondant à Genève, Ian Hamel
Paul Biya et son épouse Chantal ont décollé de l'aéroport de
Genève-Cointrin vendredi 5 juillet à 12 h 30. Ils étaient arrivés sur les bords
du lac Léman le dimanche 23 juin au soir, et souhaitaient séjourner plusieurs
semaines à l'hôtel Intercontinental, où ils réservent habituellement un étage
entier. Mais voilà, rien ne s'est déroulé comme prévu. Des opposants politiques
n'ont pas cessé de perturber leur séjour. Et les membres du service de sécurité
du président Biya se sont montrés si violents vis-à-vis d'un journaliste de la
radio suisse que la justice genevoise a condamné six d'entre eux à de la prison
avec sursis…
Alors qu'une nouvelle manifestation était prévue le samedi 6
juillet, Berne a vivement encouragé cet hôte étranger un peu trop encombrant à
écourter son séjour. En termes diplomatiques, le porte-parole du Département
fédéral (ministère) des Affaires étrangères (DFAE) explique à La Tribune de
Genève : « Le DFAE a connaissance de ce départ. Il n'a pas été absent de ce
débat durant les derniers jours. »
Des gardes du corps plutôt violents
L'agression d'un journaliste de la radio suisse francophone
a sans doute été la goutte d'eau de trop. Alors qu'il filmait des manifestants
camerounais venus, devant le palace, conspuer Paul Biya, une dizaine de gardes
du corps l'ont immobilisé, jetant au sol ses lunettes et les écrasant. Ils lui
ont arraché son sac contenant son matériel professionnel, son porte-monnaie et
son smartphone. Il a fallu plusieurs heures de négociations pour que le
journaliste puisse récupérer ses affaires. Le rédacteur, qui souffre d'hématomes
et de contusions, a aussitôt porté plainte contre X pour agression. De son
côté, Reporters sans frontières déplore que deux policiers suisses, qui
assistaient à la scène, « ne soient pas intervenus immédiatement pour empêcher
de tels agissements de se produire ».
Le ministère suisse des Affaires étrangères a convoqué
l'ambassadeur camerounais à Berne pour lui rappelait que « de tels incidents
étaient inacceptables et que la liberté de la presse est protégée et devait
être respectée ». De son côté, la justice genevoise a arrêté six membres du
service de sécurité de Paul Biya. Quatre des gros bras ont écopé de quatre mois
de prison avec sursis. Les deux autres de trois mois avec sursis.
Sympathie pour les opposants
Le samedi 29 juin, une manifestation sur la place des
Nations (à quelques pas de l'hôtel Intercontinental) réunissait quelque 250
opposants au président Biya. La police, en usant de la manière forte, avec
lances à eau et gaz lacrymogènes, a provoqué l'indignation de la presse suisse.
Dans ce pays où tous les partis politiques gouvernent ensemble, du Parti
socialiste à l'extrême droite, les régimes autoritaires, comme celui de Paul
Biya, au pouvoir depuis 37 ans, ne rencontrent guère d'adhésion. En revanche,
les opposants peuvent compter sur le soutien d'une grande partie de la
population. Comme le rappelle le ministère des Affaires étrangères (dirigé par
l'italophone Ignacio Cassis), la Confédération, pays démocratique, ne peut guère
empêcher à des opposants de manifester.
Mais l'Intercontinental risque de
perdre l'un de ses meilleurs clients. Depuis son arrivée au pouvoir, Paul Biya
aurait séjourné, selon l'Organized Crime and Corruption Reporting Project, pas
moins de quatre ans et demi dans ce palace. Y laissant une facture de 182
millions de dollars ! Très échaudé, le président camerounais ne devrait pas y
remettre les pieds avant longtemps. Imaginons que d'autres militants
politiques, prenant modèle sur les opposants camerounais, s'amusent à leur tour
à perturber les séjours de chefs d'État sur les bords du lac ? Cela pourrait
créer à l'avenir quelques soucis aux hôteliers genevois.
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