« Les anti-sardinards se mobilisent pour chasser du pouvoir le Président camerounais Biya » Sputnik
«Le Chef de l’État est
une institution; si on ne peut pas respecter cela, c’est quelque chose
d’anormal. On peut aimer le Président de la République ou pas, cela ne change
rien au fait qu’il demeure le Président de la République. Il a été élu
normalement le 7 octobre dernier. Tous les recours ont été traités et évacués
et puis le Conseil constitutionnel a proclamé les résultats. Je ne comprends
pas pourquoi d’aucuns continuent de contester ces résultats. Il vaut mieux
passer à autre chose, on ne va pas y passer toute la vie», commente Robert
Mouthe Ambassa, au micro de Sputnik.
Les manifestants anti
Biya de samedi dernier à Genève revendiquent leur appartenance à une
organisation dénommée la «Brigade Anti-Sardinards» en abrégé BAS. Ce mouvement
est né au sein de la diaspora camerounaise au lendemain de la présidentielle
d’octobre 2018. Le choix de l’expression «Anti-Sardinards» vient du fait que,
des sandwichs constitués de pain et de sardines en conserves étaient
régulièrement distribués aux populations, lors des meetings du parti au
pouvoir, le RDPC.Ainsi les membres de la BAS se sont-ils donné pour mission de
boycotter, hors du Cameroun, toutes les activités et personnalités proches du
régime de Paul Biya en exigeant également sa démission alors qu’il se trouve à
la tête de l’État depuis près de 37 ans, sans discontinuer.
Des spectacles d’artistes
musiciens camerounais accusés de soutien au régime ont souvent été boycottés
par la BAS ainsi que des personnalités pro-Biya traquées lors de leur voyage à
l’étranger. Jusqu’ici pas très prise au sérieux par Yaoundé, la dernière action
de ce mouvement, qui s’en est pris directement au Chef de l’État camerounais à
Genève a provoqué un tollé général dans les rangs du gouvernement. Ce dernier
s’est indigné par la voix de son porte-parole, René Emmanuel Sadi:
«Face à la récurrence de
ces agissements aussi incompréhensibles qu’inopportuns, perpétrés par une
frange de Camerounais de la diaspora, le gouvernement de la République exprime
l’indignation de toute la nation et dénonce fermement des comportements inadmissibles
de nature à tenir l’image du Cameroun et qui méritent l’opprobre de tous,
au-delà de toute considération», peut-on lire dans un communiqué rendu au
public au lendemain des manifestations du 29 juin.
Si certains voient d’un
mauvais œil, les évènements du week-end dernier à Genève, d’autres comme Wanah
Immanuel Bumakor pense plutôt que cette diaspora a le droit de manifester et
est capable de faire bouger les lignes dans les multiples crises que traverse
le Cameroun.
«En exerçant une pression
sur le gouvernement, la diaspora veut que les choses changent et que le pays
avance. La diaspora joue un grand rôle dans le développement de son pays
d’origine. En 2015 par exemple, elle a contribué à près de 33% au PIB du
Cameroun. Cela montre combien elle veut s’impliquer dans les activités
politiques et socioéconomiques de son pays. Cette diaspora a aussi remarqué que
malgré son apport dans le développement de son pays, il n’y a pas d’avancée. Et
c’est la gouvernance qui est remise en question par la grande majorité des
personnes. Elle est dans son rôle de dire non à certaines choses qui ne se
passent pas bien au Cameroun. Je pense que c’est plutôt le gouvernement qui est
en train de ternir l’image du pays en refusant de tendre l’oreille à la
diaspora camerounaise», estime Wanah Immanuel Bumakor, spécialiste des
relations internationales au micro de Sputnik.
Alors que d’aucuns dans
l’opinion publique, au Cameroun, semblent minorer la manifestation de la BAS,
ce dernier pense plutôt que l’objectif a été atteint.
«L’une des premières
victoires de cette diaspora est la médiatisation des crises en cours dans le
pays. Tous les médias internationaux en ont parlé. Maintenant, l’attention est
tournée vers le Cameroun, le monde est au courant qu’une crise humanitaire est
en cours dans ce pays, une crise qui peut être réglée par des solutions
politiques. Un gouvernement responsable devait écouter son peuple et créer une
plateforme qui rassemble tous les Camerounais pour parvenir à une entente à
l’issue d’un dialogue», commente Wanah Immanuel Bumakor.
Montée du tribalisme: «le
Cameroun est aujourd'hui au bord de la guerre civile»
Pour Robert Mouthe
Ambassa, cadre du parti au pouvoir «La BAS doit se calmer pour faciliter les
choses. En effet, il y a fort à parier que si elle maintient son bras de fer avec
un l’État, elle ne pourra que perdre. Au lieu de manifester, cette organisation
ferait mieux de s’organiser de se regrouper pour constituer une équipe. Si ces
membres demandent à rencontrer les officiels du Cameroun, ils seront reçus et
vont poser leurs problèmes “sur la table” pour un dialogue», suggère ce cadre
du RDPC au micro de Sputnik.
La situation sécuritaire
au Cameroun est actuellement très tendue. Le pays subit des attaques
persistantes des djihadistes de Boko Haram dans le nord du pays et un autre
conflit est en cours depuis plus de deux ans entre l’armée régulière et des
séparatistes dans les deux régions anglophones. Ces derniers revendiquent la
création d’un État indépendant dénommé «Ambazonie». Les affrontements entre
l’armée et les séparatistes sont devenus quotidiens dans ces deux régions. Ils
ont fait 1850 morts et plus de 530.000 personnes ont fui leur domicile.
À tout cela s’ajoute la
crise politique ouverte au lendemain de la dernière présidentielle avec la
revendication de la victoire du principal challenger de Paul Biya: Maurice
Kamto. Malgré l’incarcération de ce dernier janvier 2019 à la prison centrale
de Kondengui à Yaoundé, les manifestations de ses soutiens se poursuivent dans
le pays contre la «victoire volée».
Alors que le pays fait
face à l’une des graves crises de son histoire moderne et que son unité est
mise à rude épreuve, Paul Biya au pouvoir près de 37 ans va-t-il plier face à
ces multiples pressions? Les observateurs pointent déjà du doigt la bataille de
succession ouverte dans son entourage; et l’hypothèse d’une passation de
pouvoir de «gré à gré» avec un dauphin choisi dans le clan Biya fait de plus en
plus son chemin dans l’opinion au Cameroun.
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