« Pour Yaoundé, dialoguer avec les séparatistes anglophones serait un aveu de faiblesse »
Article publié le 31 Mai 2018
Selon notre chroniqueur, les conditions ne sont pas encore réunies pour conduire sécessionnistes et gouvernement camerounais à négocier.
Chronique. Au Cameroun, les appels au dialogue se multiplient en même temps que les images de violence en provenance des régions anglophones. Oui, il faut dialoguer. Sauf que dans les guerres civiles et autres conflits armés, le dialogue n’est jamais le fruit du hasard. Il intervient dans des conditions particulières. Les seuls appels au dialogue, même bien intentionnés, ne produiront donc aucun effet si nous ne comprenons pas les dynamiques qui conduisent à la table des négociations.
Dans
un article de recherche intitulé « How civil wars end » (« comment les guerres
civiles se terminent »), les politologues David Mason et Patrick Fett, de
l’université de Memphis (Massachusetts), essaient précisément de répondre à
cette question. D’après leur modèle, quatre paramètres fondamentaux déterminent
le choix des acteurs d’un conflit armé de poursuivre la guerre ou d’opter pour
le dialogue.
Supériorité
militaire
Premièrement,
la probabilité de succès. Plus la victoire militaire d’une des parties est
probable, moins les chances de dialoguer sont fortes. Dans le cas camerounais,
tant que le régime de Paul Biya aura la certitude de sa supériorité militaire,
il ne sera pas incité à s’asseoir à la table des discussions. Paradoxalement,
le renforcement des milices séparatistes, et donc le durcissement de la guerre,
pourrait permettre ce dialogue.
Deuxièmement,
le bénéfice escompté. A quelques mois d’une élection présidentielle délicate
pour le pouvoir camerounais, un dialogue imposé apparaîtrait comme un aveu de
faiblesse. D’autres foyers de tension pourraient surgir. En revanche, une
victoire militaire pourrait rapporter d’importants dividendes politiques.
Troisièmement,
le coût du conflit. Plus ce coût est élevé pour une ou les deux parties, plus
l’option du dialogue devient attractive. Pour l’instant, même s’il est loin
d’être négligeable (mort de soldats, mauvaise publicité, coût financier, etc.),
le coût de la guerre est tolérable pour Yaoundé. L’équation est différente pour
les séparatistes, qui n’étaient pas préparés à une situation de guerre et dont
les ressources sont relativement faibles.
Enfin,
la durée du conflit. Plus la guerre se poursuit, plus l’option du dialogue
apparaîtra préférable à une poursuite des opérations militaires.
Suivant
le modèle de Mason et Fett, la probabilité la plus forte à ce stade est que la
guerre en zone anglophone va poursuivre jusqu’à ce que l’une des forces
abandonne et négocie un cessez-le-feu. Mais cette voie serait trop coûteuse en
vies humaines. Et peu importe le vainqueur, le Cameroun en sortirait grandement
perdant.
Accusation
d’ingérence
Bien
entendu, il reste l’option de la médiation. C’est la plus raisonnable. Pour
autant, aucune médiation interne ne convaincra un régime sûr de sa supériorité
sur son adversaire de déposer les armes. En revanche, les puissances
occidentales disposent d’innombrables leviers pour faire bouger le pouvoir
camerounais. Mais elles risquent une accusation d’ingérence par un régime qui,
bien que dépendant de toutes sortes d’aides internationales (militaires,
financières, etc.), n’hésiterait pas à jouer la carte de la souveraineté
bafouée pour consolider sa position.
Nul
doute que des pressions discrètes sont exercées en coulisses, mais seule une
action forte (sanctions internationales, embargo, menace de mandats d’arrêt,
etc.) pourrait contraindre le pouvoir camerounais à l’apaisement. Celle-ci
serait risquée, car elle pourrait radicaliser le régime et le rendre
incontrôlable. Or au vu de l’importance du Cameroun dans la région, des intérêts
occidentaux sur place et de l’absence d’une alternative crédible à Paul Biya,
pour ces puissances, le coût du statu quo pourrait apparaître préférable au
coût de l’inconnu.
Pour
les Camerounais, cependant, le statu quo a un goût de condamnation à mort. La
situation exige d’être pragmatique. A court terme, il faudrait viser
l’obtention d’un cessez-le-feu, qui ramènerait le calme dans les régions
anglophones et épargnerait des vies humaines. Ce serait déjà une victoire. Pour
y arriver, une équipe de médiateurs consensuels, mandatée par l’Union africaine
et soutenue par l’ONU et les partenaires du Cameroun, devrait être mise sur
pied.
Elle
devrait déclarer que la sécession du Cameroun n’est pas souhaitable, ce qui
aurait pour effet de réduire davantage la probabilité de succès du projet
ambazonien et, par conséquent, d’augmenter celle d’un dialogue. Dans la foulée,
elle devrait négocier un cessez-le-feu avec les leaders sécessionnistes. En
contrepartie d’une cessation des combats, le président Biya, qui a aussi
intérêt à un retour au calme, s’engagerait à libérer, sans condition, tous les
militants anglophones emprisonnés, à amnistier les militants sécessionnistes et
à indemniser et reloger les populations civiles qui ont tout perdu dans ce
conflit.
Quid
du dialogue ? Il pourrait ne pas intervenir immédiatement, mais les militants
de la cause anglophone ont gagné la guerre culturelle : la question anglophone
est au cœur du débat public camerounais. Le dialogue est désormais inéluctable.
Yann
Gwet est un essayiste camerounais.
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