Projet d’Aluminium de Lebanga : Christian Penda Ekoka met à nue l’imposture des courtisans du régime Biya
Depuis de nombreuses années, les
Camerounais assistent impuissants à différentes annonces de projets sans
lendemains. Certains sont d’ailleurs annoncés à la suite d’une audience
accordée aux soidisant promoteurs par le Chef de l’Etat. L’ignorance, due au
manque d’informations sur la complexité du cycle de développement des projets,
et notamment des projets de cette envergure, amène souvent les populations à y
croire, à faire des rêves mirobolants. Très souvent, ces effets d’annonce sont
suivis de désillusion, de déceptions et de grincements des dents, quand la
réalité nous rattrape en renseignant qu’une fois de plus ce n’était que des
mirages.
Ainsi en fut-il des projets
d’assemblage de véhicules à Bamenda ou à Kribi,) des différents projets miniers
(Mballam, Geovic, Hydromine, etc.), de construction de complexes hôteliers et
touristiques à Yoyo (Mouanko), etc.
Le Président du PAL, Célestin
Bedzigui, a amplement justifié son ralliement
à la candidature de Paul Biya à la prochaine élection présidentielle, par le
fait que le Président de la République avait fait montre de patriotisme et de
hauteur, en autorisant les études d’un projet dont il était promoteur. Il s’agit,
selon ses déclarations, d’un projet comprenant
la construction d’un barrage à Lebanga, d’une usine d’aluminium qui
exploiterait l’alumine provenant du site minier de Minim Martap.
Afin de mieux informer nos
lecteurs, nous avons décidé de recourir à l’expertise et à l’expérience de Christian
Penda Ekoka qui, avant ses fonctions actuelles de Conseiller du chef de l’Etat,
a consacré une quarantaine d’années aux activités de conseil en investissement,
de politiques et stratégies industrielles, d’ingénierie et de financement des
projets de nombreux secteurs, d’abord comme Directeur des Etudes et Projets à
la SNI, ensuite comme fondateur et Directeur Général du cabinet de consulting
international, Business Development Service (BDS). BDS a effectué des missions
dans plus de vingt-cinq (25) pays d’Afrique et des Caraïbes pour le compte de
différentes organisations internationales.
M. le
Conseiller, êtes-vous au courant des déclarations de M. Célestin Bedzigui rapportées
ci-dessus?
J’ai lu les déclarations de
Céléstin Bedzigui auxquelles vous faites allusion. Pour éviter de fausser le
débat en l’amenant sur un terrain politique, nos explications se limiteront à des considérations techniques
et professionnelles pour mettre en évidence les conditions difficiles de
faisabilité de ce projet. D’entrée de jeu, il convient de souligner pour vos
lecteurs que la décision d’investir des capitaux dans un projet est motivée par
le gain qu’espèrent en tirer les investisseurs. Ce gain se mesure en termes de
rendement financier (retour sur investissement) pour des investisseurs privés,
et économique pour un pays. En décidant d’investir dans un projet,
l’investisseur espère en tirer un
rendement supérieur à celui de la meilleure alternative abandonnée (coût
d’opportunité). Selon la théorie
financière, plus élevé est le risque lié à un projet, plus élevé est le
rendement espéré.
Pouvez-vous brièvement expliquer
pour nos lecteurs les principales étapes qui conduisent justement à la décision
d’investissement ?
Le cycle de développement d’un
projet, qui part de l’idée à sa matérialisation, est composé de différentes
étapes: initiation, conception, exécution, exploitation, terminaison (mort,
relance, etc.). A chacune de ces étapes
on mène différentes activités. Par exemple, de l’étape d’initiation à celle de
la conception, on fait des études d’opportunité (analyse des facteurs
d’opportunité tels que le marché, la disponibilité des matières premières,
l’évaluation des technologies disponibles, l’estimation du coût de
l’investissement, les hypothèses de financement, les coûts d’exploitation, la
rentabilité, identification des risques, étude de sensibilité, l’évaluation des
impacts environnementaux), suivies des études de préfaisabilité, d’études de
faisabilité et d’exécution (ingénierie de base et de détails, ingénierie
financière et juridique, les simulations financières, les études de
sensibilité, etc.). A l’issue de cette phase conceptuelle, la décision
d’investissement est prise pour passer à l’exécution du projet (construction), ensuite
à son exploitation ; celle-ci ira jusqu’à l’étape de terminaison, fin de vie du cycle du
projet qui disparaît ou se transforme éventuellement en un autre projet.
A quelle étape se situerait ce
projet ?
Je dirais à l’étape d’initiation.
D’une étape à l’autre, la configuration du projet gagne en précision ;
ainsi de l’étape d’initiation (étude d’opportunité) à la conception (études de
faisabilité et d’exécution), l’estimation du coût de l’investissement passe
d’un niveau de précision de plus ou moins 20% à plus ou moins 5%. Le coût des différentes
étapes conceptuelles du projet est croissant. Le niveau de précision requis
exige des ressources plus coûteuses au fil des étapes. En raison de ce
phénomène, le passage d’une étape à l’autre est un test, qui doit déterminer
s’il vaut la peine de continuer à dépenser pour des informations plus précises,
ou en d’autres termes si le risque en vaut la peine ou le jeu la chandelle. La
décision d’investissement est prise par les investisseurs au bout de ce
processus conceptuel, à la suite d’une batterie de tests sur la base
d’informations estimées fiables. Ces tests les amènent à conclure que
l’investissement est sur tous les plans viable, et que les risques associés
sont maîtrisables.
Quelle est la durée de la phase
conceptuelle qui, d’après vos explications, est déterminante pour le sort d’un
projet ?
Oui, en effet, ce sont les
activités de cette phase qui permettent aux investisseurs de tirer la
conclusion que le projet est viable sur tous les plans, et les risques associés
maîtrisables. La durée de cette étape varie selon la complexité du projet. Par
exemple, dans le cas du projet de pipeline Tchad-Cameroun pour l’exportation du
pétrole tchadien, la phase conceptuelle a duré sept ans, alors que la
construction du pipeline lui-même n’a duré que trois ans. Dans le cas de
l’hôtel Yaoundé Hilton, la phase conceptuelle a duré deux ans et celle de la
construction trois ans. Au début de la décennie 80, le projet d’eau minérale
Tangui aura mis moins de trois ans, entre son initiation et le lancement de
l’exploitation, dans le cadre d’une coopération entre la SNI et les Brasseries
du Cameroun. D’où l’intérêt d’avoir des partenaires industriels et financiers
solides, qui connaissent le secteur et n’engagent pas des ressources de manière
irresponsable.
D’après vous l’Etat n’est pas un
partenaire industriel ou financier responsable ?
Dans le cadre d’une économie de
marché efficiente, l’Etat n’est pas appelé à devenir un industriel ou un
investisseur, et au risque de me répéter, il doit créer des conditions infrastructurelles
– physiques et institutionnelles –
susceptibles d’attirer des investisseurs privés pour la mise en valeur des
opportunités. L’Etat peut même encourager
la mobilisation des investisseurs privés en prenant une part
minoritaire, mais ceux-ci exerceront leurs diligences pour s’assurer du succès
du projet. Or, non seulement les fonctionnaires n’ont pas les moyens de
concevoir et réaliser ces projets, mais, plus grave, ils ne sont pas tenus pour
responsables en cas d’échecs, tel que le montent nombre de ces projets terminés
dans la broussaille, en éléphants blancs. L’organisation de la gouvernance
politique en place encourage ces comportements irresponsables, au détriment de
l’intérêt des populations.
Et pourquoi l’Etat s’entête sur
ce chemin dont on connaît l’impasse ?
L’erreur de la gouvernance
économique de notre pays est de ne pas joindre les actes aux paroles, de
proclamer l’économie de marché, d’un côté, et de faire de l’étatisme
économique, en engageant tous azimuts des ressources publiques comme promoteur. Et nous le payons cher par
les différents éléphants blancs dont le Cameroun regorge : Geovic,
Hydromine, Mballam, Tracteurs d’Ebolowa, usine de manioc de Sangmelima (sans
manioc), etc. Cette défaillance de politique économique a été la cause
fondamentale de la crise du milieu des années 80, elle devait être corrigée par
des réformes structurelles. Malheureusement, ceux qui ont géré l’économie
depuis le point d’achèvement, en 2006, ont continué de le faire, comme s’ils
n’avaient tiré aucun enseignement de l’effondrement des économies communistes,
ou des exemples de l’ex Union soviétique ou de la Chine communiste.
Quelle serait la configuration d’un tel projet ?
La configuration d’un tel projet
se bâtirait autour de quatre pôles : (i) Un pôle énergie contenant la
construction d’un barrage hydroélectrique, l’industrie de l’aluminium est très
énergivore ; celui de 1000 MW, dont M. Bedzigui parle, outre son caractère
hypothétique au regard du profil hydrographique du Cameroun, pourrait coûter 2
milliards de dollars US (plus de 1000 milliards FCFA) ; (ii) un pôle usine
pour l’électrolyse de l’alumine en vue de la production de lingots d’aluminium,
qui serait situé très vraisemblablement près de la centrale hydroélectrique
afin d’éviter des pertes de transport ; 1 à 2 milliards de dollars
d’investissement selon la taille finale de l’usine ; (iii) un pôle minier
pour l’exploitation des mines de bauxite et le traitement du minerai jusqu’à
l’alumine ; le coût d’un tel investissement ne serait pas inférieur à 3
milliards de dollars US, selon sa configuration définitive ; (iv) un pôle
logistique et transport visant à assurer le transport de l’alumine de la mine
jusqu’à l’usine et l’aluminium jusqu’au port le plus fonctionnel. Il s’agirait
probablement d’une ligne de chemin de fer et de véhicules poids lourds. Ce qui
nécessiterait également 2 à 4 milliards de dollars US d’investissement.
Un projet dont le coût
d’investissement serait de l’ordre de 3000 à 6000 milliards FCFA ?
C’est tout à fait exact. Un investissement
dont le coût se situerait dans une
fourchette de 6 à 10 milliards de dollars US, 3000 à 6000 milliards FCFA,
équivalent selon le cas à une large part
ou à la totalité du budget du Cameroun. Il s’agit à ce stade d’ordre de
grandeur. Qui serait prêt à prendre ce
risque financier et pour quelle rentabilité ? Même si l’Etat camerounais
avait la volonté de le faire, sa signature mobiliserait difficilement un tel
volume de capitaux.
D’après vous ce projet a-t-il des
chances d’aboutir ?
En considérant le meilleur cas de
figure où différents paramètres seraient satisfaisants tels que – le volume des
réserves de bauxite exploitables, les cours mondiaux de l’aluminium (oscillant
aujourd’hui autour 2200 dollars US la tonne), le prix de revient du MWh d’électricité, les autres
coûts d’exploitation et de financement -, seuls des investisseurs privés seraient
susceptibles de mobiliser le volume des capitaux envisagés. Se poserait alors le problème de l’attractivité
du Cameroun pour des investissements privés, c’est-à-dire celui du risque-pays
et de l’insécurité juridique.
Le projet inabouti du géant minier mondial Rio Tinto Alcan (RTA),
visant la construction d’une aluminerie appuyée par des barrages
hydroélectriques, devait se réaliser dans la même optique. Ses promoteurs ont
quitté le Cameroun il y a trois ans.
Pouvez-vous expliciter ?
Dans pratiquement tous les
rapports internationaux sur le climat d’investissement au Cameroun, l’insécurité juridique ressort comme le principal obstacle à l’attrait des investissements
au Cameroun. Elle est le résultat de nos
institutions politiques de gouvernance des affaires publiques, qui encouragent
des comportements de corruption, de prédation et de prévarication, en toute
l’impunité. Cette organisation politique est génératrice, par différentes
incitations, de ces comportements qui constituent le cancer gangrénant
l’administration, et particulièrement l’administration judiciaire. Ils sont dissuasifs pour l’investissement
privé au Cameroun. Célestin Bedzigui qui aurait passé quelque temps dans la
notation du risque-pays le sait.
Le président du PAL, Célestin
Bedzigui, motive sa décision de soutien de la candidature de Paul Biya par
l’autorisation que le Chef de l’Etat aurait donné pour un projet de barrage
associé à une usine de transformation de la bauxite en aluminium, dont il
serait le promoteur. Qu’en pensez-vous ?
Nous ne connaissons pas les
modalités concrètes de la supposée autorisation du Chef de l’Etat à ce projet.
On peut dire en revanche que les principes qui sous-tendent la politique
économique du Cameroun sont le
libéralisme et la libre entreprise, fondée sur
la prise de risque par les entrepreneurs privés, l’Etat créant des conditions
infrastructurelles – physiques et règlementaires – propices à l’attraction des
investisseurs. Différentes lois créent des incitations spécifiques pour attirer l’investissement privé. Ainsi,
par exemple, celle relative au partenariat public privé, ou celle de 2013
créant des incitations fiscales et douanières, graduées en fonction des effets
positifs locaux induits par les investissements envisagés. Dans ce contexte,
l’Etat est un facilitateur, qui ne se substitue pas aux investisseurs privés,
dans la prise de risques technique, financier, commercial et managérial, en ce
qui concerne les décisions de promotion et d’investissement.
Au regard de vos
explications l’autorisation du chef de
l’Etat ne serait pas le facteur
déterminant pour la réalisation de ce projet ?
Loin s’en faut, en effet !
De nombreux projets, ayant connu un aboutissement heureux ou non, ont bénéficié
d’une sorte de bénédiction du chef de l’Etat. Mais encore une fois, ce n’est
pas lui qui prend la décision d’investissement, ce sont les investisseurs
eux-mêmes – actionnaires et prêteurs du projet – qui le font à l’issue de la
démarche complexe sus évoquée. Ainsi en fut-il des projets tels que le pipeline
Tchad-Cameroun ou la Rio Tinto Alcan pour le projet d’usine d’aluminium à Kribi
accompagné de deux barrages hydroélectriques (encore un autre et de bien d’autres.
Mais alors de quelle stratégie
participerait la décision de Célestin Bedzigui ?
Ma réponse à votre question fort
pertinente relève pour le moment d’une
simple conjecture. L’avenir en confirmera la pertinence. Voyez-vous, notre
administration a pris l’habitude de créer des comités de pilotage de projet qui
ambitionnent de se substituer aux investisseurs privés. Pari perdu d’avance,
comme je vous l’ai dit. Une fois créés, ces comités fonctionnarisés consomment
des ressources budgétaires dépensées dans les voyages sans résultat palpable et
probants. Célestin Bedzigui inscrirait-il l’autorisation du chef de l’Etat dans
le contexte de ces comités de pilotage, alors même qu’il les fustigea pendant
longtemps, et à juste raison. Car, ces comités deviennent des foyers d’extrême
corruption, des gouffres financiers et des sources de détournements de deniers
publics.
Soulignant que l’intérêt supérieur de la politique c’est
lorsque celle-ci est au service des populations, M. Céléstin Bedzigui justifie
son soutien à la candidature de Paul Biya à la prochaine élection
présidentielle par son autorisation à ce projet et les bénéfices qui en
découleraient pour les populations de la Lékie. Qu’en pensez-vous ?
Pour toutes les explications que je vous ai données, ce projet m’apparaît très hypothétique. Ainsi en est-il en conséquence de ses bénéfices pour les populations camerounaises, dont celles de la Lekie ne sont pas exclues.
Entretien réalisé en Février 2018 par Albin Njilo de Cameroun Liberty
Laisser un commentaire